La première fois que j’ai entendu que le but n’était pas d’étirer les tissus mais de les stresser, j’ai cru que j’allais partir en courant. C’était au début de ma formation de Yin yoga, pratique dont la douceur et la lenteur m’attiraient. Je rêvais d’un cocon d’amour de soi et me retrouvais confrontée à des postures inconfortables et un enseignant qui insistait sur l’importance de stresser nos articulations et tissus conjonctifs.
Depuis, j’ai appris et compris. Appris ce que signifie stresser dans ce contexte, et compris comment pratiquer avec douceur et amour pour tout son être.
Les tissus yin et yang
Contrairement aux formes dynamiques de yoga et presque tout ce qu’on classe dans « activités physiques », le Yin yoga ne travaille pas sur la musculature mais sur le tissu conjonctif. Les muscles sont superficiels et élastiques, des caractéristiques yang qui leur permettent de s’étirer et reprendre leur forme. Ils sont renforcés par les exercices rythmiques et répétitifs et assurent la stabilité de la structure profonde yin. Les tissus conjonctifs, plus profonds et plastiques, n’ont qu’un faible pouvoir de déformation. Ils se fortifient sous l’effet de contraintes douces et longues et garantissent la mobilité. Le traitement orthodontique est une illustration parlante du travail sur des tissus yin.
Prenons une situation que tout le monde a déjà vécue: faire quelques étirements ou un peu de stretching à la fin d’une séance de sport pour éviter les courbatures. Ces synonymes sont aussi communs qu’erronés. Après avoir stimulé les muscles par des contractions relativement brèves et répétitives, on cherche à travers les fameux « étirements », longs et relativement doux, à stimuler les fascias pour faciliter le drainage de l’acide lactique formé dans nos muscles.
Stresser le fascia
Le stress est tellement omniprésent dans nos vies et notre société, et tellement pointé du doigt comme un des grands fléaux de notre temps, que tout mon corps s’est contracté à l’idée de stresser mes articulations. Pourtant, si je remplace stresser par contraindre ou stimuler, comme dans les paragraphes précédents, tout va bien. Et c’est bien là ce qu’on fait en Yin yoga: on applique une contrainte sous forme de tension, compression ou torsion, pour stimuler et renforcer nos fascias. En d’autres termes, on stresse nos tissus yin. Bien sûr, exactement comme pour les muscles (yang), ce n’est pas juste la contraction (stress) qui les renforce, mais bien l’alternance stress/repos.
Pour parler des tissus yin, j’ai utilisé les termes de fascia, de tissu conjonctif et d’articulation. Le fascia (ou les fascias) et le tissu conjonctif (ou les tissus conjonctifs) sont relativement interchangeables, d’autant que l’intérêt scientifique est récent et leurs définitions ont des contours fluctuants. Afin de créer un langage commun, je choisis de parler du fascia comme la matrice qui connecte et maintient l’entier de notre structure. Longtemps négligé comme une simple enveloppe, il est avant tout un réseau de communication et transport sanguin, lymphatique et nerveux à travers tout le corps. Le fascia assure la stabilité et la flexibilité, délimitant l’amplitude de nos mouvements. Son intense innervation en fait notre premier organe de proprioception et un centre de stockage de nos mémoires émotionnelles.
Le tissu conjonctif est la matrice générale de toute organisation, (…) sans ce tissu, aucun corps vivant ne pourrait exister.
– Jean-Baptiste Lamarck
Les articulations sont une des structures comprises dans le grand ensemble « fascia ». Elles ont l’avantage d’évoquer immédiatement quelque chose de clair et tangible pour le commun des mortels et d’éveiller l’intérêt pour une technique qui les renforce et augmente notre amplitude de mouvement.
Profondeur et détente
Les muscles ont un rôle protecteur envers les articulations. En se contractant, ils verrouillent les structures et empêchent les pressions excessives de les endommager. Pour que le stress appliqué par les postures dépasse la musculature et atteigne les tissus yin en profondeur, il faut relâcher les muscles. Cette détente nécessaire à un double effet bénéfique. En plus d’orienter le stress sur le fascia, elle active le système nerveux parasympathique.
Dans notre monde très actif et rapide, le système nerveux sympathique (SNS) est fortement sollicité. C’est lui qui assure notre réactivité, notre dynamisme, notre mode de vie à 100 à l’heure. Le système nerveux parasympathique (SNP) est lié au repos, à la régénération, à la digestion, au sommeil. Quand il est activé, on sent détente et paix nous envahir.
Comme le jour et la nuit, le yin et le yang, le haut et le bas, les deux polarités de notre système nerveux ne sont pas intrinsèquement meilleures l’une que l’autre. C’est toujours l’équilibre ou harmonie entre les polarités qui compte. Vu que le monde d’aujourd’hui a tendance à nous inciter à un déséquilibre yang (SNS), se créer des espaces propices au déploiement de notre énergie yin est une manière extrêmement efficace de dé-stresser et améliorer notre santé globale.